Histoires d’ « IMP 140 »
Mars 93, à Bouge environ 30 responsables d’IMP [1] se quittent après avoir jeté les bases d’une entente des directeurs d’IMP de la catégories 140 [2]. Le mouvement poursuit sa route. Qu’est-ce qui les y a amenés, où vont-ils ?
Bien avant cette rencontre, avant la création du Fonds 81 [3] (nov 67) les « jeunes inadaptés », (ça se disait à l’époque), étaient accueillis dans des instituts qui vivaient de la débrouille, de la charité, de ressources provenant des Ministères de l’Education et de la Justice[4]. Ils y organisaient des 4 eme degré et des formations professionnelles avec la complicité des inspecteurs de l’époque, bien avant la loi sur l’enseignement spécial. Freinet et Decroly inspirent les éducateurs-enseignants. A cette époque, du bon sens, parfois un peu gros, les éducateurs spécialisés recevaient une formation AESI [5], pragmatisme bien ancré dans l’esprit de l’école active. Parmi ceux-ci quelques-uns participaient à la gestion d’un groupe de vie. Les profs d’atelier, durant les années d’observation du secondaire, étaient eux aussi éducateurs.
Une continuité d’action, souvent amplifiée par une vie communautaire qui autorisait une grande souplesse dans les propositions faites aux jeunes. Les plus destructurés étaient invités à passer du temps avec la cuisinière, tandis qu’un autre aidait un ouvrier. Un plus fragile accompagnait l’éducateur en charge des achats au marché vespéral. Il arrivait que parfois, pour aider les collègues un éducateur accueillait un jeune dans sa famille. Les anciens disent que « c’était le bon temps ». Le modèle familial inspirait de nombreux instituts.
Aujourd’hui, l’enseignement spécial de type III [6], est complètement contaminé par une lourdeur administrative qui limite l’offre de service de façon exorbitante. (Titres recquis, calcul du capital période qui voit se rétrécir dangereusement la fonction éducative de professeurs… de plus en plus d’enseignants, difficulté de création de nouvelles sections professionnelles mieux adaptées aux besoins des jeunes)
Ces instituts rendaient de grands services. Le secteur associatif était majoritaire dans ce secteur. Les inspecteurs militaient avec les acteurs et sensibilisaient les administrations et politiques. C’est ainsi que naissent le Fonds de Soins, et un peu plus tard l’Enseignement Spécial.
Les équipes s’étoffent, elles se « psychologisent », elles se médicalisent. Freud entre dans les cloîtres. Feu les instituts, ils deviennent IMP, ils se professionnalisent. De nouveaux cadres, pour de nouvelles administrations. De nouvelles exigences, des cadres réglementaires à n’en plus finir et surtout de moins en moins de souplesse. Des Directeurs de moins en moins cliniciens, de plus en plus administratifs et gestionnaires, plus de rigueur, adieu le bon sens !
Dans de nombreux endroits, écoles et hébergements, [7] sont aujourd’hui dans l’après divorce. Les obligations réglementaires respectives, envahissantes, rendent bien difficile l’indispensable rapprochement des équipes au profit d’une saine gestion de l’accompagnement des jeunes « 140 »
Et puis le déluge. La récession économique, la rigueur budgétaire, la compression.
Les IMP travaillaient avec des normes d’encadrement conquises en 73, pas même généreuses, seulement justes et mieux adaptées aux besoins d’un personnel soumis aux assauts de jeunes très carencés. Aux souffrances non-dites, aux appels au secours vociférants, de plus en plus dépressifs et suicidaires…il est répondu par des coefficients réducteurs sur les normes. Des innovations réglementaires, de nouveaux calculs de subvention maquillent mal la pression budgétaire qui fait chuter les ratios de personnel. Il faut faire du mieux avec moins.
Les jeunes dits « 140 » avalent à eux seuls 58 % du budget réservé aux IMP. C’en est trop !
Une menace plane sur les IMP 140, ils coûtent chers, trop chers, sont trop nombreux, trop fermés et surtout…..voilà qu’on découvre que ces jeunes ne seraient peut-être pas handicapés.
Mais alors pourquoi n’iraient-ils pas coûter ailleurs. En 93, des vents mauvais portaient des bruits annonçant un transfert vers l’AAJ [8] ! Transfert budgétaire de la RW [9] à la CF [10]. Ces jeunes « 140 » relèvent du social, gardons notre enveloppe pour les « vrais » handicapés.
A Bouge, sous le regard attendri de Saint François, naquit l’entente des directeurs des IMP 14O. D’association de fait, elle devint asbl « Groupement des IMP 140 ». Sans concurrence avec les associations fédératives, elle défend et assure la promotion des services en faveur des jeunes « caractériels » et de leurs familles. Elle s’est donnée, aussi, comme objectif d’être incontournable dans les lieux de décisions politiques qui trop souvent mettent à mal une profession déjà ébranlée de l’intérieur en raison des pathologies et troubles de la personnalité, souvent limites accueillies.
Depuis la création du « 81 » nos instituts ont subi quelques assauts du politique.
- Passage d’une subvention dite « prix calculé » qui tenait compte des normes de personnel acquises en 73 à une subvention de type forfaitaire, plus rapide mais moins juste, tout en profitant de cette réforme pour appliquer un coefficient réducteur sur le personnel.
- Obligation de soumettre l’accord de prise en charge délivré à l’époque par le Gouvernement Provincial à un dossier technique constitué par une équipe pluri (médecin psychiatre, psychologue et assistant social) d’un centre agréé tel les CSM [11], PMS…. Cette disposition de 1983 va « forcer » une heureuse rencontre entre l’ambulatoire et le résidentiel, grâce à la procédure de réévaluation, qu’hélas l’administration et le politique abandonnent ( ?)
- Fusion du FNRSH [12] et du FSMSPH pour une nouvelle administration wallonne, l’AWIPH [13]. Fusion dont la culture FNRSH prévaudra sur l’esprit FSMSPH. Net manque de différenciation des règles de subventionnement en faveur des établissements pour adultes et pour enfants.
- Abandon de l’appellation IMP au profit de SRJ [14], abandon du M !
- Récemment, la contribution financière des familles est revisitée au profit d’un système très nettement plus compliqué et plus largement sujet à caution qui entrave sérieusement la rencontre famille/institution.
- Diminution (et parfois suppression) de places en semi-internat en faveur de politique d’accompagnement des jeunes et des familles.
- Création de poste d’agents de suivi au sein des BR [15] dont les tâches définies après embauche dessinent une tentative de contrôle plutôt qu’un sain accompagnement des opérateurs sur le terrain. Les BR devrait échapper à l’administration de l’AWIPH qui cumule une double fonction d’organiser, de subventionner et de contrôler les institutions avec celle de gérer l’accès aux services. Ethiquement, techniquement ce double lien devrait chatouiller la sensibilité de politiques soucieux d’un fonctionnement démocratique serein.
Dès 83, la LWSM [16] s’est mise en chantier sur la rencontre IMP/CSM autour de la catégorie 140. Chantier qui fut relayé, et toujours au travail, par la LBSM [17]. Cette rencontre fut « imposée » par les dispositions de 1983 qui réglementent l’accès et le maintien d’un jeune en IMP 140. Ces échanges entre professionnels des deux secteurs ont permis de « théoriser » sur la pertinence de contraindre, grâce à la réévaluation, cette rencontre entre l’ambulatoire et le résidentiel, l’un devenant tiers vis-à-vis de l’autre selon le principe de tiers circulant. Ce dispositif devient garant du service rendu aux jeunes et à leurs familles pour autant qu’il existe une réelle volonté de le faire « fonctionner ».
Cette position de tiers réciproque se construit de visions psychanalytiques et systémiques. L’évaluation des besoins du jeune et de sa famille se nourrit d’une rencontre qui, en soi, peut être suffisamment thérapeutique pour que le séjour du jeune dans un service AWIPH ne soit pas nécessaire. En d’autres occasions, un relais vers le résidentiel permettra de construire l’espace thérapeutique requis tant pour la famille que pour le jeune. L’élargissement de l’espace thérapeutique du CSM à celui de l’IMP permet en de nombreuses occasions une sécurisation du système qui autorisera, quelques fois, un changement salutaire. Pour un cinquantaine d’IMP, il y a près de deux cents CSM de couleurs politiques et philosophiques différentes. Les risques de collusion avaient été réduits fortement en interdisant que cette rencontre se fasse par des CSM de même « pouvoir organisateur » que l’IMP.
Ce système garantit une vive et saine émulation intellectuelle au sein des services qui s’attachent à fonctionner de la sorte.
Nous ne comprenons toujours pas pourquoi, progressivement, cabinets et administrations concernés ont laissé aller à vau-l’-eau ce dispositif d’une grande richesse si les acteurs sont soutenus dans cette démarche. Outre la dynamisation des réponses données aux familles, il est raisonnable d’escompter une diminution de la demande de séjours résidentiels, ce qui ne chagrinerait personne. Cette lecture est militante. Avec celle des effets néfastes des modifications réglementant la participation financière des familles, elle témoigne le plus de la philosophie qui inspire le « Groupement des IMP 140 ». Le Thérapeutique est indissociablement lié à l’Ethique et au Politique. Notre association se veut lieu de rencontres et de débats au service d’une population qui tente de nous récupérer dans le traitement de problèmes urgents. Urgences qui distraient. Urgences « méconnaissances ». Urgences qui nous aveuglent et nous gouvernent. L’urgence semble bien souvent être le point commun entre « jeunes caractériels » et le politicien en devoir de produire…Si nous n’y prenons garde et si nous ne garantissons pas un travail à plusieurs, l’IMP risque fort d’être au service des résistances aux changements des familles qui nous consultent.
Le temps et le soin que l’institution apporte au personnel pour l’accompagner dans la métabolisation de lourdes charges émotionnelles transférentielles seront les chantiers des années futures. C’est dans ces questions que s’élabore le potentiel thérapeutique d’un IMP. Cabinets et administrations devront prendre l’habitude de soumettre réformes, réformettes et autres chambardements réglementaires à l’analyse des besoins du personnel. De la bientraitance pour faire face à la maltraitance des enfants et des familles qui s’adressent à nous.
luc.fouarge@skynet.be Vice-président, septembre 2004
Institut Médico Pédagogique (Internat ou semi-internat)
14 eme catégorie de jeunes handicapés pouvant accéder à un IMP subventionné par le Fonds 81 et définie comme suit : « mineur d’âge atteint de troubles caractériels, présentant un état névrotique et ou pré-psychotique et nécessitant un séjour en milieu spécialisé, en internat ou en semi internat.
FSMSPH, Fonds de Soins Médico Socio pédagogiques pour Handicapés, Administration sous tutelle du Ministre de la Santé et de la Famille du gouvernement national, en charge de l’organisation et de la subvention des services d’accueils proposés aux personnes handicapées, dit « Fds 81 »
Gouvernement unitaire à l’époque
Agrégé de l’Enseignement Secondaire Inférieur
Une des 8 catégories d’enseignement spécial régie par une loi de 72. Le type 3 est réservé aux jeunes caractériels.
[7]
Le plus souvent, jadis faisant partie d’une même association. Aujourd’hui, dans la plus grande partie des cas les directions et la gestion sont séparées.
Administration de l’Aide à la Jeunesse, sous tutelle d’un ministre de la Communauté française. CFWB
Région Wallonne, gouvernement en charge de la politique en faveur des personnes handicapées
Communauté Française, gouvernement en charge des politiques en faveur de la jeunesse et en charge de l’application des mesures prises par les tribunaux de la jeunesse .
Centre de Santé Mentale, équipes pluridisciplinaires ambulatoires.
Fonds National de Reclassement Social des Handicapés, sous tutelle du Ministre de l’Emploi et du Travail, du gouvernement national, en charge de la formation et des aides à l’emploi des personnes handicapées.
Agence Wallonne de l’Intégration de la Personne Handicapée
Service Résidentiel pour Jeunes
Bureau Régional, en charge du traitement de la demande d’intervention présentée par la famille.
Ligue Wallonne de Santé Mentale, porte parole des CSM.
Ligue Bruxelloise de Santé Mentale